Clara Moley : ‘Quand on est une femme, dire, “je veux” est toujours une transgression’

Dans le cadre du talk organisé le 26 janvier 2023, à la BNP Paribas Cours Mirabeau, par l’association aixoise, Les Inspirantes, Clara Moley a répondu à nos questions sur le thème de la liberté financière. Entretien. (Propos recueillis par Tiphaine Beausseron)

Video interview Clara Moley chaine Youtube Provence & You

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Qu’est-ce que les ‘Règles du jeu’ et sa genèse ?

Avant d'être un livre, ’Les règles du jeu’ était une série de podcasts en dix épisodes qui traite de la vie au travail. J’y ai compilé tout ce que j'aurais aimé qu'on me dise avant de commencer à travailler ce qui m'aurait fait gagner beaucoup de temps en tant que femme au travail et que j'ai finalement appris au gré de mes expériences.

J’ai commencé à travailler dans un milieu très  masculin et j'ai appris, un peu par la force des choses, un certain nombre de règles du jeu qui m'ont permis ensuite d'apprendre à bien naviguer mon quotidien au travail. Après quelques d'années d'expérience, je me suis dit que ces choses-là étaient finalement assez simples, à la fois à comprendre et à mettre en place et que j'aurais bien aimé qu'on m'en fasse part un peu plus tôt. Donc c'est un petit peu ça l'origine du projet.

Qu’est-ce que le syndrome de ‘La bonne élève’ dont vous parlez dans l’ouvrage ?

C'est un peu ce contresens qu'on fait - un peu toutes et tous - à certains moments de notre vie professionnelle qui consiste à appliquer au monde du travail ce qui nous a permis de réussir à l’école. Le monde du travail ne fonctionne pas du tout de la même manière. C'est un monde qui obéit à ses règles propres. D’ailleurs l'expression, ‘bonne élève’ prend une connotation négative, quand on la place dans un contexte professionnel. Pour résumer, être « une bonne élève », c'est s’en remettre à ce qu'on nous demande de faire, nous limiter à cela, être dans une relation très verticale, et un peu passive vis-à-vis de notre hiérarchie, de notre entreprise, et placer quelque part l’intérêt de la structure, de l'entreprise, de notre hiérarchie avant le nôtre, sans jamais vraiment nous poser la question de savoir pourquoi on est là.

Ces trois éléments - un peu caricaturaux quand ils sont isolés - se retrouvent dans nos comportements quotidiens à faible dose, et, cumulés, ils créent une attitude qui peut parfois se retourner contre nous-mêmes. Cela a été le choc du début de ma vie professionnelle de me rendre compte que je pouvais moi-même, au travail, être ma propre ennemie.

Les règles du jeu de Clara Moley Editions Dunod




Pourquoi est-ce si dur de se libérer du syndrome de la bonne élève ?

Parce que finalement, quand on est une femme, s'affirmer, dire « je veux », dire « je veux plus d’argent », « je veux telle opportunité »…ou alors, a contrario, dire « non », « je ne suis pas d’accord avec ça », mettre des limites…c’est toujours une transgression. Ça revient toujours à désobéir à quelqu'un quelque part, à l'image de ce que devrait être une femme idéale, à ce qu'on a nous-mêmes absorbé comme étant notre place dans la société. Certaines questions peuvent remonter à l’enfance, à l'éducation, à l'inconscient collectif, etc… et sont donc éminemment complexes, mais, au final, quand il s'agit de s'affirmer dans un contexte professionnel, on a du mal à le faire parce qu'on sent de manière plus ou moins consciente, au fond de nous, que ça va nous être reproché, qu'il y a un coût à payer, à faire ce pas et à transgresser.

(…) Cette transgression est difficile à assumer. C'est dur d'accepter de faire ce pas-là. C'est dur de se dire « j'accepte de prendre le risque d'être éventuellement rejetée par le groupe, de recevoir un refus de la part de ma hiérarchie, d'être peut-être disqualifiée sur un certain nombre de choses ». On ne sait pas tellement de quel risque on parle, mais on n'a pas envie de le prendre. C'est normal et personne n'a dit que c'était simple de se défaire de ces syndromes. Mais finalement, quand on prend deux minutes de recul, on s’aperçoit que le plus grand risque de tous, c'est de ne pas y aller du tout.


Pourquoi la liberté financière des femmes est-elle encore un sujet tabou ?

Tout d’abord parce que le sujet est récent. Rappelons que le droit pour les femmes d'ouvrir un compte bancaire sans l’autorisation de leur père ou de leur mari date de 1965. (…) C'est aussi normal que les choses prennent du temps et c’est très bon signe qu'on s'empare de ce thème aujourd’hui. Cela montre notre impatience et que la prise de conscience est plus rapide que les faits. Mais c'est déjà, un signe extrêmement positif.

De plus, pendant très longtemps, la division des tâches sociales dans la société, c'était : aux hommes, les affaires ; aux femmes, la domesticité. Quand on regarde, par exemple, les grandes figures historiques qui reviennent toujours sur les femmes fortes, etc…, ce sont des femmes qui, bien souvent, exerçaient leur puissance au sein de la sphère domestique, dans leur maison(…). Or, utiliser son argent, investir son argent, c'est prendre son pouvoir, sa place dans le monde, c'est dire : « je prends mon argent et je décide de le mettre au service de telle cause, au service de telle entreprise ». Donc il y en a un acte assez radical de prise de pouvoir.

Il y a aussi la dimension du ‘don’ qui appartient à nos inconscients collectifs. Une femme donne la vie, une femme donne de son temps, une femme donne de son énergie au service de l’autre. Bien souvent, une femme fait passer son intérêt propre avant l’intérêt du groupe (…). En maîtrisant et investissant leur argent, les femmes décident de placer leur intérêt financier avant l'intérêt du groupe. Elles pensent à elles d’abord. Et là, on retombe sur l'idée de transgression qui est énorme.

Il y a des tas d'autres éléments, mais ces trois éléments sont pour moi, les trois plus fondamentaux, car avec l’argent, on est dans la transgression maximale. Et je pense que c'est aussi pour ça que, plus qu'aucun autre sujet, les femmes s'interdisent aussi d'y aller.

Comment commencer à construire sa liberté financière ?

En comprenant qu'investir, c'est faire travailler son argent pour soi. Avec la fameuse magie des intérêts composés, on peut se créer des sources de revenus alternatives qui ne sont pas forcément celles de notre activité professionnelle principale.

(…) De plus, on n'a pas besoin d'être un professionnel de l'investissement pour investir. (…)

Dans le Starter Pack, je détaille le raisonnement à avoir pour commencer à investir. Le maître mot, c'est plutôt se poser la question de la finalité de notre argent. De quoi j'ai envie ? À quel horizon ? Quels risques j’ai envie de prendre avec cet argent ? (…) À partir du moment où vous avez identifié vos projets de vie, vous pouvez vous faire accompagner par des professionnels.  À aucun moment investir son argent ne signifie se substituer aux professionnels. Et d'ailleurs, je suis très heureuse qu'on soit à la BNP Paribas aujourd’hui parce que je pense que les institutions financières ont un rôle fondamental à jouer dans le fait de permettre aux femmes de regagner en confiance. (…) Les institutions financières traditionnelles qui sont encore, quand même, des marques de confiance très fortes, ont un « boulevard » pour essayer de créer ce dialogue avec leurs clientes et peut-être changer la manière de communiquer avec elles.

Quand commencer à investir ?

Idéalement en commençant tôt. Dès qu'on gagne un peu d'argent, on peut investir. Après, il suffit de s'y mettre. C'est-à-dire que si vous n'avez pas commencé toute jeune avec vos premiers salaires, ce n’est pas grave. Le bon jour est maintenant et aujourd’hui vaut mieux que demain.

À qui s’adresse le starter pack ?

À toutes les femmes, car le but c’est justement de réconcilier les femmes avec la notion d’investissement. C'est de balayer les tabous. (…) J’aborde quelques concepts de base de manière extrêmement simple, sans jargon, sans complexité. (…) Et surtout, j'espère donner envie (…), pour toutes les raisons un peu rationnelles que j'ai évoquées, mais aussi parce qu'il y a quelque chose d’extrêmement jubilatoire à investir son argent.

Une femme qui vous inspire ?

Maxime Carmignac, qui travaille pour la fondation Carmignac, un fonds d’investissement. C'est une professionnelle de l'investissement qui parle exceptionnellement bien de l'investissement, qui le vulgarise très bien et qui donne très envie d'investir.


Clara Moley est née à Marseille, mais n’y a pas vécu longtemps. Très tôt, dans sa carrière de trader, elle s’est expatriée au Brésil dans un environnement professionnel très masculin. Cette expérience lui a permis de prendre conscience de certains mécanismes propres au monde du travail auxquels, les jeunes actives ne sont pas préparées. Depuis lors, elle s’exprime sur l'égalité au travail et incite les femmes à oser parler d’argent. D’abord à travers ‘Les règles du jeu’, un podcast, devenu un livre publié chez Dunod. Plus récemment, elle a mis en ligne « Le Starter pack » une série audio de 6x5mn pour dédiaboliser la notion d’investissement financier.


Cette interview est un condensé de l’entretien vidéo réalisé le 26 janvier 2023 à l’occasion du talk organisé par l’association aixoise les Inspirantes, à la BNP Paribas du cours Mirabeau et qui a réuni une cinquantaine de femmes inspirées.

Retrouvez l’interview de Clara Moley version longue sur notre chaîne YouTube

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